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Mamane : « Déconstruire… C’est aussi le rôle de l’humoriste »

Mamane : « Déconstruire… C’est aussi le rôle de l’humoriste »

ENTRETIEN. Avec son festival d’humour CFA, il œuvre pour faire connaître les humoristes africains en France. L’artiste y a présenté son nouveau spectacle, « Frontières », au texte instructif et satirique sur l’Afrique d’hier et d’aujourd’hui. Propos recueillis par Astrid Krivian

Ils étaient nombreux (dont Manu Dibango et le rappeur Passi) à applaudir le nouveau spectacle hilarant de Mamane, Frontières, jeudi 25 avril à La Cigale de Paris. Géopolitique, économie, « Françafrique »… L’humoriste à la plume corrosive plonge dans l’histoire pour éclairer le présent, et mieux comprendre l’origine des maux du continent. Il s’amuse aussi des différences culturelles, des stéréotypes affublés aux Africains… Faire rire pour donner à réfléchir, informer, remettre en question semble être sa profession de foi. Frontières s’est déroulé au sein de la première édition du festival CFA (Comédie Festival Africain), créé par Mamane et Jérémy Ferrari, invitant des humoristes de toute l’Afrique francophone à se produire en France. Des plateaux d’artistes et des one man show (Michel Gohou, Le Magnific…) répartis sur douze dates, à Paris, Bruxelles et une tournée en province. Le public était au rendez-vous, certaines salles étaient même complètes. « Il y a une vraie curiosité et un intérêt pour ces artistes africains. On ne va pas s’arrêter en si bon chemin ! », se réjouit l’humoriste « multicasquettes », producteur (du programme hebdomadaire Le Parlement du rire sur Canal+ Afrique), réalisateur (Bienvenue au Gondwana en 2016), chroniqueur sur RFI, organisateur du festival d’humour Abidjan capitale du rire en Côte d’Ivoire. Il s’est confié au Point Afrique.

Le Point Afrique : L’un des thèmes de votre nouveau spectacle, c’est les frontières des pays africains, définies pour la majorité par les gouvernants européens lors de la Conférence de Berlin en 1884-1885. Pourquoi est-ce important pour vous de faire appel à l’histoire ?

Mamane : Chaque jour sur RFI, je réalise une chronique au sujet de l’actualité, je m’en amuse, je détecte les absurdités. En effectuant des recherches sur l’origine d’un fait, d’un problème, on comprend que tout vient de l’histoire. Mon spectacle fait donc constamment des allers-retours entre le passé et le présent. Encore aujourd’hui, on subit les conséquences de ce tracé des frontières sur le continent africain. Ces frontières artificielles ont été définies arbitrairement sans prendre en compte les réalités culturelle, sociale, historique de ces régions. Sur le terrain, on l’observe : des familles ont été séparées, divisées. Certains de nos ancêtres ne pouvaient plus circuler librement ni rejoindre leur pays. Tout ça pour les intérêts économiques des puissances européennes ! Lors de cette Conférence, les colonisateurs se sont entendus pour faire du commerce, sans trop se marcher sur les pieds. Un modus operandi pour établir la répartition des tâches et des ères d’influence, à des buts mercantiles et lucratifs.

Vous évoquez aussi votre pays d’origine, le Niger, souvent présenté dans les médias comme l’un des pays les plus pauvres du monde, pourtant l’un des principaux producteurs d’uranium...

C’est le paradoxe de nombreux pays africains : riches en uranium, en pétrole, etc., mais le citoyen se demande bien où part toute cette richesse et à qui elle profite. Les responsabilités incombent d’abord à nos dirigeants, et puis aux sociétés qui exploitent ces ressources. Entre eux, des contrats ont été établis, il y a des années voire des décennies, et dont on ne connaît pas les clauses. Mais c’est toujours à l’avantage des puissances qui exploitent ces matières premières. Et quand un accord ne peut être trouvé, un contrat ne peut être instauré, on provoque des troubles dans les régions où se situent ces matières premières. Tant qu’il y a des troubles, une situation instable, de l’insécurité, on peut exploiter, ça devient le Far West, les multinationales en profitent… On l’observe dans beaucoup de pays : les diamants au Liberia et en Sierra Leone, les régions pétrolifères du Nigeria, la République démocratique du Congo (diamants, coltan, cuivre, NDLR). Aujourd’hui, du pétrole est exploité en Lybie, en Irak aussi, mais on ne sait pas où il va et personne n’en parle…

Vous raillez aussi le franc CFA, qui n’est pas une monnaie selon vous…

Oui, car il ne peut pas être utilisé en dehors des 14 pays d’Afrique où il est en cours. On ne peut pas l’échanger comme le dollar par exemple… Donc pour moi cette monnaie est comme un avoir, un bout de papier que tu peux utiliser uniquement dans cette zone CFA. Cinquante pour cent des réserves de change de ces pays sont stockées à la Banque de France. Fabriqué à Chamalières en Auvergne, le franc CFA est indexé sur l’euro. C’est incongru… En France, on entend les souverainistes réclamer la sortie de l’euro, mais il faudrait que la France sorte d’abord du franc CFA. Qu’elle laisse les pays africains s’organiser, créer leur monnaie commune.

Comment nourrissez-vous votre observation du continent, au-delà de votre pays ?

C’est l’avantage de ce terme « africain ». On se définit tous comme Africains et on travaille ensemble. Moi je suis Nigérien, je vis et je travaille en Côte d’Ivoire, avec des Ivoiriens mais aussi des Gabonais, des Congolais, des Camerounais, des Burkinabè. Et on oublie nos nationalités la plupart du temps. Dans le spectacle, je parle aussi de tous ces termes auxquels on associe les Africains : migrants, sans-papiers, colonisés… Dès qu’on entend certains mots de la langue française, on sait qu’on parle de nous ! Il y a aussi dans le langage des comparaisons exotiques tenaces, soit animalières ou végétales, avec des expressions du style : « Il court comme une gazelle ». Ok, dans ce cas on peut dire qu’un Australien court comme un kangourou ? ! Les gens le disent sans réfléchir, et souvent il n’y a pas de méchanceté derrière. Mais c’est bien de s’arrêter dessus, de se demander pourquoi, de repartir à l’origine et de déconstruire… C’est aussi le rôle de l’humoriste.

Selon vous, les auteurs africains d’expression française devraient être classés en littérature française et non en littérature francophone comme c’est souvent le cas…

Oui, et ça ne concerne pas que les écrivains africains, mais aussi asiatiques, antillais… Ils écrivent en français mais on dirait que, comme ils ne sont pas blancs et français, alors ils sont considérés comme francophones. Ce sont des sous-entendus, sur lesquels tout le monde s’accorde, mais personne ne le dit. Alors que ces auteurs enrichissent la langue française. Si aujourd’hui la France est considérée comme une puissance mondiale, c’est aussi grâce à tous ces pays. Il y a 274 millions de francophones dans le monde. Rien qu’en Afrique, on est 110 millions, c’est pratiquement deux fois la population française. Voir qu’ils sont traités comme des personnes de seconde catégorie, c’est bien dommage…

Vous faites un tableau bien sombre de l’état des hôpitaux en Afrique…

C’est la triste réalité. C’est pour ça que nos chefs d’État se font soigner en France, en Suisse, aux États-Unis, aux Émirats arabes unis, au Qatar, en Arabie saoudite… ! En Afrique, les soins hospitaliers sont tellement chers que les habitants ne peuvent plus se soigner, certains traînent autour des hôpitaux à mendier. La plupart du temps, il faut payer le gardien de l’hôpital pour entrer, avoir une ordonnance pour consulter un rare médecin ou infirmier, et parfois même payer le matériel… Il y a des pays qui en sont là.

Vous rappelez aussi que certaines villes africaines portent encore le nom des explorateurs de la fin du XIXe siècle, des « découvreurs » des pays comme vous ironisez…

Oui, comme Brazzaville en République du Congo, qui vient de Pierre Savorgnan de Brazza (explorateur du bassin du Congo pour la France, NDLR), Port-Gentil au Gabon d’après le nom d’Émile Gentil (administrateur colonial, NDLR), Bingerville en Côte d’Ivoire, de Louis-Gustave Binger (premier gouverneur français de la Côte d’Ivoire, NDLR). Sur la stèle de son tombeau au cimetière du Montparnasse à Paris, on peut encore lire : « Explorateur de la boucle du Niger qui donna la Côte d’Ivoire à la France, la patrie reconnaissante. »

Vous pensez que l’Afrique avance difficilement depuis les indépendances, comme vous le dites sur scène ?

Oui, on se demande pourquoi on en est toujours là, 60 ans après. On est ballottés de gauche à droite, par nos dirigeants, par les anciennes puissances colonisatrices, par les États-Unis, la Chine, l’Arabie saoudite… Tous ces intérêts internationaux se retrouvent en Afrique. Chacun veut sa part du gâteau. C’est aux Africains d’arriver à naviguer et de comprendre que les États n’ont pas d’amis mais que des intérêts, pour citer le général De Gaulle. C’est un triste constat. Il y a beaucoup de choses positives en Afrique, mais le rôle de l’humoriste est de pointer du doigt ce qui ne va pas. On ne peut pas faire de l’humour sur les belles choses. Il faut remuer les spectateurs, les choquer même, et les faire rire en leur montrant la réalité cachée, grave, absurde. Je mélange mes diverses influences, avec cette culture française de l’humour noir, cynique, et la tradition africaine : celle du second degré, des proverbes, de la métaphore, héritée des griots, du bouffon du roi où l’on critique les puissants sans les citer nommément.

Entre la scène, la télévision et les festivals, quels sont vos projets ?

On travaille sur de nouveaux concepts d’émissions télé, et sur une série qui serait une sorte de suite de mon long-métrage Bienvenue au Gondwana. J’ai ouvert un comedy club à Abidjan, le Gondwana Club, où se produisent des artistes confirmés, et aussi des débutants lors de scènes ouvertes. C’est un endroit très fréquenté, les gens sont heureux de venir voir en live des humoristes dont ils ne voyaient les sketches que sur YouTube. On comble ce vide. C’est nouveau : sortir pour voir des spectacles d’humour rentre peu à peu dans les mœurs. Et puis il y a la création d’une école de comédie à Niamey, au Niger, sur laquelle je travaille depuis des années. J’ai eu le terrain, les arrêtés ministériels, ça avance bien. Ce sera une école en prise avec la modernité, le one man show, le stand up, la comédie, l’écriture télévisuelle… Je veux pallier ce manque et créer une économie de l’humour en Afrique. Car c’est un secteur très dynamique, il y a beaucoup de talents qui ont des choses à dire. Le festival CFA nous l’a prouvé : les humoristes ont fait rire les foules partout où ils sont passés.

Avec Le Point Afrique 

 

 

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